Russie : les enjeux du mouvement de contestation
L’affaire de l’empoisonnement de Navalny, largement médiatisée par les médias bourgeois occidentaux dans leur rhétorique anti-russe, a eu des répercussions sur le mouvement de contestation en Russie suite au retour de l’opposant politique. D’autant plus que ce retour a été couplé à une vidéo postée sur Youtube, le jour de l’arrivée de Navalny à Moscou depuis Berlin, parlant d’un château luxueux de Poutine au bord de la Mer Noire afin de dénoncer la corruption en Russie.
Une vague d’actions de protestation a balayé la Russie en soutien au fondateur du Fonds anti-corruption, Alexei Navalny, qui est appelé « le principal chef de l’opposition du pays » dans les médias. Le 2 février 2021, il a été condamné à deux ans et demi de prison en première instance, sa peine en sursis pour une affaire remontant à 2014 (accusé de fraude et blanchiment) s’étant transformée en peine réelle pour non présentation au commissariat sans raison valable pendant son séjour à Berlin. Il est à noter que les représentants des ambassades de certains Etats de l’Union européenne, des Etats-Unis, ainsi que différents médias étaient présents à l’audience, ce qui rajoute de l’ampleur à cette affaire au niveau géopolitique et les répercussions que cela pourrait avoir dans un futur proche sur les relations entre les puissances impérialistes, qui n’hésiteront pas à utiliser ce contentieux dans leurs intérêts.
En effet, il y a beaucoup de gens en Russie qui sont de plus en plus scandalisés par l’inégalité flagrante, le luxe insolent de la bourgeoisie, la corruption des hauts fonctionnaires et des élus. Ils sont indignés, mais ne savent pas comment faire changer cet ordre de choses dans le pays. Navalny et ses sbires fondent leurs activités sur la propagande anti-corruption et cela trouve un écho, notamment chez les jeunes des grandes villes. Mais ce n’est pas tellement à qui appartient un tel palais qui importe. En revanche, il est certain que le pouvoir en place contribue à ce que les bourgeois s’engraissent et Poutine est le visage de cet état de fait, le garant des intérêts du grand capital russe. Et parmi ces parasites, peu importe ce que disent les médias officiels ou le porte-parole du président, les amis de Poutine sont au premier plan, c’est indéniable.
Cependant, il faut comprendre ce qu’est Navalny. Soutenu par les pays occidentaux, il propose, comme revendications, de plus exonérer d’impôts les entreprises, de réduire la présence de l’État dans l’économie. Qu’est-ce qu’Alexei Navalny est prêt à faire pour les jeunes qui manifestent, en proposant un programme libéral de libre marché et de privatisation ? Transférer les écoles aux mains privées et introduire des frais de scolarité ? Privatiser les universités ? Il est peu probable qu’il envoie des adolescents russes étudier à Stanford, comme sa fille.
Cela montre que nous avons sous les yeux un mouvement qui ne remet pas en cause le système capitaliste, mais qui, au contraire, représente les intérêts d’une fraction de la bourgeoisie qui n’est pas encore dominante en Russie et qui est liée aux intérêts des bourgeoisies occidentales. Navalny est un élément du système capitaliste.
Alexei Navalny, dans la Russie d’aujourd’hui, est devenu le leader et le porte-parole de la position de la bourgeoisie néo-libérale pro-occidentale. Autrement dit, cette partie de la classe dirigeante qui lutte pour une privatisation encore plus abrupte et qui propose le slogan "Russie sans Poutine !", rêve de supprimer toute restriction pour le capital. Un trait distinctif de cette bourgeoisie sont les liens les plus étroits et le soutien direct de l’Occident dans le cadre de ce que nous appelons des contradictions inter-impérialistes. Et cette aide de l’Occident cherche à déstabiliser la puissance impérialiste concurrente qu’est la Russie, y compris jusque’à initier un coup d’Etat.
Dans l’ensemble, l’existence d’une telle opposition, bien que peu agréable, est quelque part bénéfique pour le Kremlin, puisque dans ce contexte, Poutine et compagnie ressemblent à des patriotes et à des gardiens du peuple russe et des valeurs traditionnelles. Pour le pouvoir en place, si une protestation existe, elle doit être cantonnée à un cadre bien défini, et les protestations sans revendications concrètes, telles que « contre la corruption », « contre Poutine », « pour libérer Navalny », constituent ce cadre.
Les contradictions dans la société se sont objectivement aggravées, il y a une indignation croissante face aux inégalités sociales et à la corruption mal dissimulée de la classe dirigeante. En Russie, cela a été renforcé par la révision constitutionnelle qui permet à Poutine de briguer deux mandats supplémentaires. Les jeunes sont confrontés aux mensonges d’État et à l’hypocrisie, ils se sentent dans une atmosphère d’oppression et de manque de liberté. L’indignation est de plus en plus grande à la vue de l’injustice quotidienne. La volonté des jeunes de changer leur vie, de diriger leur énergie contre l’arbitraire du pouvoir du capital, est de plus en plus évidente. Et ceci est utilisé par les stratèges politiques. Les jeunes qui protestent sont récupérés par de faux « opposants » qui sont en fait étroitement liés au pouvoir du capital et ne remettent pas en cause le système d’exploitation capitaliste. Il faut se battre non pas pour ou contre des personnalités, mais contre le système pour renverser non pas un roi pour le remplacer par un autre, mais la société qui lui a permis d’émerger.
La croissance de cette contestation et l’absence de slogans anticapitalistes témoignent, entre autres, de la relative faiblesse actuelle du mouvement communiste en Russie. Par conséquent, la tâche des vrais communistes est d’amener cette conscience dans les rangs de ceux qui combattent et d’orienter la lutte des travailleurs contre le système capitaliste lui-même, et non vers le remplacement de certaines figures du Kremlin par d’autres.
Commission Internationale du PCRF